Les émissions de téléréalité font florès et n’ont pas manqué d’attirer l’oeil, critique celui-là, d’une
jeune compagnie d’artistes, « Opinion Public », qui n’a que cinq ans et déjà un style bien affirmé.
Un « follower » c’est un fan, un admirateur ou pour aller plus loin un « disciple »... Et ce monsieur Toulemonde
pris dans un jeu télévisé, « Mr. Follower », semble bien s’approcher de cette dernière acception par son adhésion totale, sa soumission aux règles du jeu.
Accro à la téléréalité, il en verra les promesses se concrétiser, émergeant de l’anonymat et « relooké »,
il deviendra le nouveau héros, la « nouvelle star », connaitra une notoriété pas toujours facile à assumer. Sa vie sera réglée par la caméra : amour, amitié... Mais peu à peu, le système montrera ses vrais rouages et on le verra progressivement déchanter, perdre le contrôle de sa propre vie... L’humour teinté de cynisme se fera alors plus corrosif alors que le ton général est à la critique amusée, à la fantaisie.
C’est une équipe très soudée qui propose ce spectacle auquel il est difficile de coller une étiquette. Cinq danseurs-comédiens et trois musiciens racontent une histoire en différentes séquences, au moyen de plusieurs techniques et technologies (vidéo et caméra bien présentes, évidemment) et dans diverses tonalités, y compris musicales, mais en parfaite cohésion, y compris pour la scénographie.
La mise en scène pleine d’inventivité d’Etienne Béchard, aussi danseur, rend fluide les diverses séquences, autant que la souplesse (dans tous les sens) des danseurs-comédiens, aussi mimes et acrobates étonnants: Johann Clapson, Sidonie Fossé, Victor Launay, Arthur Louarti.
Tous ont fait leurs classes chez Béjart (avec d’autres formations). Ils s’y sont rencontrés et ont formé un projet commun, en même temps qu’une amitié, une complicité et c’est ainsi qu’ils peuvent imaginer ensemble une chorégraphie inédite.
Quant aux musiciens: Livio Luzzi, Romain Verwilghen et Edouard Cabuy, s’ils forment le groupe « Paper
Ship », ils montrent aussi leur personnalité propre tout en s’intégrant dans l’ambiance générale d’une émission télévisée.
Le spectacle rend le public complice; le présentateur- animateur-bonimenteur, ne manquant pas d’en appeler aux applaudissements et aux rires fabriqués apparait comme un meneur de jeu, meneur de foule, « foule sentimentale » peut-être, mais surtout si docile...
Il y a un peu plus d’un an, nous vous faisions découvrir une jeune troupe de danse contemporaine époustouflante ayant pris ses quartiers dans notre capitale : la Compagnie Opinion Public. L’originalité de ses créations, mixant habilement les genres, nous avait enchantée. Un envoûtement devenant total au regard des prouesses artistiques dont eux seuls étaient capables.
Dès lors, c’est avec beaucoup d’enthousiasme que nous nous sommes dirigés vers le Théâtre Marni pour apprécier leur nouvelle création intitulée Mr.Follower. L’émerveillement de la découverte n’étant plus de mise ici, nous souhaitions donc y entrevoir un beau spectacle. Une attente en grande partie comblée.
Mr.Follower relate l’histoire d’un quidam, spectateur assidu d’une télé-réalité dont il devient, par hasard, le pion central. Mais sa notoriété indue le rend vulnérable, fragile et sa personnalité va peu à peu prendre congé pour laisser place à la manipulation visible et invisible d’un monde qu’il ne contrôle pas.
N’y allons pas par quatre chemins, Mr. Follower est une réussite artistique, sonore et visuelle très aboutie. Comme à l’accoutumée aurons-nous envie de dire, les danseurs sont d’une justesse et d’un professionnalisme à la hauteur de leur talent. En outre, leur volonté de pirater quelque peu la danse contemporaine pour l’accoupler incestueusement avec les arts du cirque ou la comédie font d’Opinion Public un précurseur (et un laboratoire) de la danse de demain : un genre hybride, engagé et accessible à tous.
Partant de ce postulat, le récit révèle alors bien plus d’importance. De fait, Mr. Follower est scénaristiquement travaillé, de sorte que le spectateur vive et traverse l’histoire en même temps que son
protagoniste. Le fil narratif se noircit alors doucement au fur et à mesure que les minutes s’égrainent. Les sourires marqués par des scènes ubuesques se crispent alors de plus en plus, les yeux pétillants se ternissent et les applaudissements se taisent. Nul doute, Mr. Follower devient une métonymie pamphlétaire de la société et du monde de l’entertainment, avec ses fastes et ses tragédies.
Le pari est réussi, le message est passé, le spectateur est pantois, à la fois heurté et émerveillé par une fin abrupte concluant une série de saynètes drolatiques et dramatiques à la fois. Mr. Follower a soufflé le show et l’effroi.